C’est sous un soleil estival, dans son jardin à 40 km de Paris que Christophe Lartige, photographe, me reçoit pour parler de son autre passion : « Le jardinage naturel ».

Plus habituée à le croiser sur les plateaux télé, qu’en pleine campagne, il me raconte aujourd’hui son rapport à la nature et à l’environnement.

L’occasion de parler de permaculture et d’éco-responsabilité mais aussi des superbes clichés de fleurs et de végétaux qu’il exposera dans les mois à venir…

 

AGR : A première vue, ton jardin ne ressemble pas à une clinique pour plantes malades… C’est plutôt encourageant quand on parle de jardinage au naturel !

CL : Tu noteras qu’il ne ressemble pas non plus à un jardin à la Française dans lequel règne l’ordre, la rigueur et la symétrie… Mais c’est justement ce que j’aime. C’est naturel, harmonieux et réfléchi à la fois.

 

« JARDINER SANS PRODUITS DE SYNTHESE »

 

Comment est-ce qu’on parvient à ce résultat en jardinant Bio ? D’ailleurs, le jardin au naturel, ça veut dire quoi exactement ?

Jardiner au naturel, c’est jardiner sans produits de synthèse, sans engrais chimiques ni de pesticides. En ce qui me concerne, il n’y a jamais eu de traitement ni sur mon potager (environ 60 m2, NDG*) ni sur l’ensemble du terrain sur lequel s’épanouissent mes arbres fruitiers. Pas un pschitt, pas un insecticide, rien d’autre que mon compost.

L’idée, c’est donc de ne rien mettre sur ce que l’on cultive.

 

 

 

« LA NATURE ECONOMISE SES SUPPORTS (…)  IL FAUT QUE LE CONSOMMATEUR L’ACCEPTE »

 

Je confirme, qu’aucune plante n’a été maltraitée au cours de cette interview. Le problème quand on ne traite pas, c’est que les maladies et les insectes s’installent… 

Déjà, tous les insectes ne sont pas nuisibles pour les cultures. Il y a plein d’astuces, des tas de vidéos sur internet pour apprendre à jardiner bio et malin, tout en réduisant ces risques. Même sur un petit potager, on peut augmenter sa rentabilité et nourrir une famille plusieurs mois dans l’année !

Certes, il n’y a pas des solutions pour tout… Moi, cette année, mes framboises sont plus tardives et plus petites que d’habitude. Quand la nature travaille seule, elle fait en fonction des aléas météorologiques mais elle économise aussi ses supports : Une année, tu auras beaucoup de pommes, celle d’après un peu moins… Si l’on revient à un mode de culture généralisée de ce type, il faudra que le consommateur l’accepte.

 

« LES SOLS MEURENT (…) AUJOURD’HUI, ON CHERCHE DES SOLUTIONS POUR SOIGNER LES SOLS QU’ON A ABIMES »

 

Aujourd’hui, l’industrie pétrochimique nous présente certains pesticides comme étant « respectueux de la santé et de l’environnement ». Quels en sont, véritablement, les impacts sur l’environnement et sur la santé publique ?

On a tellement bombardé les sols d’engrais pour booster les récoltes qu’aujourd’hui, il n’y a plus de vie dans la terre. Plus de micro-organismes, plus de vers de terre…

Conséquence, les sols meurent alors on tente d’apporter des solutions artificielles alors que tout se passait très bien avant notre intervention. Ce n’est pas moi qui le dis, pour comprendre ce fléau, il suffit d’écouter le discours de Lydia et Claude Bourguignon (2 chercheurs qui ont quitté l’INRA il y a 30 ans pour travailler sur les vrais enjeux de l’agriculture de demain, NDG). Aujourd’hui, on cherche des solutions pour soigner les sols qu’on a abîmés et pour traiter des maladies transmises à l’homme via ce qu’on lui a donné à manger…

Sans parler de la pollution des eaux…

Oui, c’est le cas du petit cours d’eau au fond de mon jardin ! Je ne l’utilise malheureusement jamais pour arroser mon potager ! Il draine l’eau des plaines et les plaines, ici, c’est beaucoup de cultures… traitées ! Elles sont toutes arrosées abondamment de produits divers et variés.

Je me souviens, il y a quelques temps, quand on entendait qu’il fallait trouver des solutions intra-muros pour assainir la Seine… Mais enfin, un peu de bon sens ! Il faut surtout régler les problèmes en amont ! Si la Seine est polluée, c’est aussi parce que des cours d’eau comme la Montcient (sous-affluent du Nord des Yvelines qui se jette dans la Seine, NDG) est elle-même polluée par des petits cours d’eau comme la Douaye qui descend des plaines et ainsi de suite…

En somme, on cherche des pansements à coller sur des problèmes que nous avons créés, sans remonter à la source (sans mauvais jeu de mots) ?

C’est le cas de le dire ! ça ne sert à rien de soigner le cancer si on ne cherche pas à savoir quelles en sont les causes !

Du coup, avec quoi arroses-tu ton potager ?

Avec l’eau d’un récupérateur. J’ai aussi créé une petite mare qui est devenu le QG des grenouilles et des tritons du coin. ils mangent les insectes qui voudraient s’en prendre à mes légumes !

 

 

 

 

La réglementation sur les pesticides se durcit puisque dans le cadre de la loi Labbé, les produits de traitements chimiques seront interdits à la vente dès le 1er Janvier 2019. Autant que les jardiniers amateurs changent leurs habitudes dès maintenant…  

C’est même déjà le cas dans les communes. Ici par exemple, on est passé à zéro pesticide et herbicide depuis cette année. C’est plutôt drôle d’ailleurs, de voir les trottoirs se remplir d’herbes ! Mais ça fait réfléchir et ça donne des idées aux habitants : fleurissement du village, échange de graines dans une boîte aux lettres commune…

L’autre jour, j’ai dit au maire que c’était très bien d’interdire aux jardiniers du dimanche l’utilisation de pesticides sur leurs terrains mais il se passe quoi au niveau des plaines ?!! Il ne s’agit pas de jeter la pierre aux agriculteurs… Ils font comme ils peuvent, on les a poussés à produire toujours plus. Mais lorsqu’on leur parle bio, pour eux, c’est encore de l’utopie totale, très éloignée de leurs préoccupations économiques quotidiennes.

 

« LA GRELINETTE : UN OUTIL FORMIDABLE »

 

Quelles-sont, concrètement, les techniques les plus utilisées dans ce mode de jardinage bio ? 

Ho ! Il y en a beaucoup ! Par exemple, cette année, j’ai découvert un outil formidable : la grelinette !

Ha oui, dis… La grelinette. Qu’est-ce que c’est ?

Jusque-là, je retournais la terre de mon carré potager avec une motobineuse. Mais j’ai lu beaucoup de choses expliquant, avec justesse qu’il n’était pas logique de mettre les micro-organismes qui sont sous la terre, sur le dessus ! Avec une grelinette, on aère la terre manuellement, sans la retourner.

Certes, c’est plus long mais c’est moins fatiguant (et aussi moins bruyant) !

Plus long mais moins fatiguant… Il me faut un temps de réflexion là. C’est comme avec le GPS : Plus court ou plus rapide ? Mon cœur balance…

Ha Ha ! En fait, c’est la démarche qui change ! Au lieu de se dire : « Tiens ! Je vais me tuer à la tâche cet après-midi avec la motobineuse (une vraie corvée) pour pouvoir planter dès lundi », on travaille au fur et à mesure. Un bout de parcelle à la fois, d’abord les salades, et la semaine suivante, les pommes de terre… par étape !

 

 

Rassure-moi, quand tu démarres en mars, tu ne finis pas en décembre ?

Non j’essaie malgré tout de terminer en avril !! Mais du coup, c’est sans douleur pour le sol et pour moi, parce que c’est très facile d’utilisation. Et ce n’est même pas une lubie d’écolo, tu fais ça à ton rythme, tu prends ton temps… Tu n’es pas à l’abri de surprendre un merle guetter un ver… Avec le bruit de la motobineuse, c’est pas gagné ; -)

 

« LE PAILLAGE GARDE L’HUMIDITE ET ETOUFFE LES MAUVAISES HERBES »

 

Quelles sont les solutions préventives pour éviter d’être envahi par les mauvaises herbes ? 

Il suffit juste de pailler ! Non seulement, le paillage garde l’humidité, ce qui permet d’arroser moins, mais en plus, il étouffe les mauvaises herbes et enrichit le sol. Si l’on s’y prend bien, on peut même ne pas avoir à retravailler la terre l’année suivante !

Pour éviter la paille (tige du blé) traitée, j’utilise les feuilles mortes en automne, elles ne tassent pas le sol et renforcent la terre grâce à la production d’humus. Au printemps, je me sers de résidus de tonte ou de MiscanthusJe dispose les copeaux de cette graminée, après avoir planté. Double intérêt en ce qui me concerne : c’est une plante qui pousse sans traitement, juste à côté de chez moi !

 

 

Plus de désherbage à la main donc… C’est moins fastidieux que ce que j’imaginais…

On ne va pas se mentir non plus, le jardin au naturel, c’est forcément, un peu plus de temps et d’énergie qu’avec un litre de désherbant ou d’engrais chimique ! Mais ce n’est pas si compliqué. Oui, c’est parfois moins efficace mais il faut aussi laisser faire la nature. Au final, tout le monde a envie de manger plus sainement et de consommer des légumes non traités. Ça vaut le coup.

 

 

 

« IL FAUT PENSER A LA ROTATION DES CULTURES »

 

Tu cultives toujours tes légumes au même endroit ?

Non, c’est important de penser à la rotation des cultures au sein du potager, d’une année à l’autre. Cultiver des légumes toujours au même emplacement risque d’appauvrir le sol, ils n’ont pas tous les mêmes systèmes racinaires ni les mêmes besoins.

Que mets tu dans ton compost ?

Il faut faire attention au rapport azote et carbone. Mais grosso-modo, je mets tout ce qui est végétal, les épluchures de fruits et de légumes, les restes de tonte de gazon et de feuilles mortes, pas trop de peaux d’agrumes pour éviter d’acidifier le compost, quelques coquilles d’œufs et de sachets de thé, un peu de carton (si naturel), la litière des poules…

Finalement entre ça et les déchets alimentaires que tu donnes aux poules : qu’est-ce qui reste ?

Pas grand-chose. Nous arrivons à réduire énormément les déchets.

 

« LES ŒILLETS D’INDE ATTIRENT LES PUCERONS (…) IL FAUT CREER UN ENVIRONNEMENT FAVORABLE AUX ANIMAUX DE JARDIN »

 

On vient de parler de désherbant naturel grâce au paillage mais on n’a pas parlé des pucerons ?

Les œillets d’inde attirent les pucerons et évite certaines maladies aux tomates et aux courgettes. Il y a aussi le savon noir pour les faire fuir ou les larves de coccinelles, friandes de pucerons…

En gros, il faut préserver les ressources en créant un environnement favorable aux plantes et aux animaux de jardin en se servant de tous les processus qu’on peut retrouver dans la nature.

Du bio-mimétisme en quelque sorte… Il faut tenter de copier la nature et de s’en inspirer plutôt que de la piller.

Oui, même avec les orties que je laisse pousser près du poulailler ! Non pas que j’aie une passion débordante pour l’ortie mais je m’en sers pour les tomates ; elles apportent l’azote dont les pieds ont besoin et je n’ai qu’à me servir ! Elles forment aussi une haie naturelle qui attire les petites bêtes dont se nourrissent les poules. Ce serait idiot de tout enlever !

Regarde aussi l’arbre à papillons qui a poussé au milieu du potager. Je le gère un peu mais j‘aime aussi le laisse faire : En fleurissant, il va attirer les abeilles, papillons et autres butineurs qui iront voir mes tomates, et feront fructifier le tout…

Encore une interaction naturelle…

Oui ! Il faut arrêter de vouloir un jardin tiré au cordeau ! Faire revenir la nature et la laisser prendre sa place, ce n’est pas si mal ! Mes haies constituées entre autres de forsythias, seringats, charmes et sureaux donnent des baies aux oiseaux et attirent les orvets et les hérissons, en voie d’extinction. Pourtant, dans un potager, ces animaux mangent les limaces et les escargots. Certes, tu vas aussi te faire manger une ou 2 salades au passage mais ça fait partie du jeu.

 

 

 

Et quand les hérissons ne sont pas de la partie ?

Il reste le marc de café, autour des plants de salade ! Ce n’est pas d’une efficacité absolue mais quand-même, ça aide bien car quand les limaces et les escargots passent dessus, ça colle et ils détestent ça. Par contre, dès qu’il pleut, il faut recommencer…

Je vois que tu as aussi mis des nichoirs dans les arbres ?

Oui, pour que les mésanges viennent faire leur nid. Elles n’auront qu’à se servir dans le potager pour récupérer les chenilles et les insectes. Et hop, une quantité de nuisibles en moins dans mes légumes !

Ce n’est pas un problème pour tes fruitiers ?

Non parce que la période de nidification n’est pas la même que celle de fructification. Au moment où les fruits arrivent, les oiseaux ont quitté le nid.

Et les CD dans les arbres ? 

Ben, ils ne sont pas bêtes ! Au début ça marche et puis après… Ils connaissent la musique ! Ce sont surtout les gros ramiers qui raffolent des cerises. Là encore, tu es obligé d’en laisser un peu à la nature…

 

 

 

Plein de petites choses que tu ne peux voir que si tu prends le temps de regarder…

Oui ! J’ai toujours été un grand contemplatif, même gamin… Aujourd’hui, prendre son temps, ça va presque à l’inverse de notre société qui nous pousse toujours à être en mouvement et à tout faire vite… C’est dommage, c’est bien parfois, de ramer à contre- courant. Et surtout, de montrer tout ça à nos enfants, de leur apprendre à mettre les mains dans la terre…

 

 

C’est fou de constater qu’en si peu de temps (2 générations) on a désappris à s’intéresser à l’essentiel : la terre. Aujourd’hui on ne sait même plus comment planter une salade !

C’est vrai, alors que nos grands-parents connaissaient ça par cœur ! Mais j’ai le sentiment qu’avec nos enfants, on y revient doucement… Les miens ont semé des roquettes, planté des pommes de terre…

S’ils ne t’ont pas demandé où poussait la Burrata, c’est bon signe ! D’ailleurs, une étude vient de sortir : 7 % des américains pensent que le lait chocolaté est produit par des vaches marron… Ce qui souligne clairement l’ignorance d’une partie de la population en matière d’alimentation. Comment est-ce que tu t’es formé au jardin, toi ?

 J’ai grandi à la campagne avec un grand père qui m’a montré. Mais à le voir, ça semblait très contraignant car il y passait beaucoup de temps. J’y suis revenu plus tard, à mon rythme pour que ça reste du plaisir.

 

« CA ME SEMBLE CAPITAL D’APPRENDRE A SES ENFANTS COMMENT POUSSE UNE POMME DE TERRE »

 

Une histoire de transmission…

Mon grand-père ne l’a pas forcément fait sciemment avec moi mais aujourd’hui, l’écho est différent. C’est capital d’apprendre à ses enfants comment pousse une pomme de terre.  Certes, je vis en dehors d’une grosse agglomération, ce qui facilite les choses.

Mais au-delà de la transmission de connaissances basiques, il y a aussi le rapport à la nature, le fait de se poser, de s’échapper, de se ressourcer. C’est essentiel. Au lieu d’aller fumer une clope, allez regarder une fleur de près !

C’est ce qui t’a donné envie de photographier les fleurs et les végétaux ? 

Il y a quelques années, alors qu’il venait de geler, mon regard s’est arrêté sur une pâquerette qui était prise dans du givre. Je suis allé chercher un boîtier et j’ai été fasciné par le résultat : Tous ces cristaux minuscules…  Comme piqués, un par un.

Depuis, je continue à faire ce genre de photos. Il m’arrive même de me laisser surprendre par la technique. Là aussi, il faut accepter de se laisser surprendre ! Mon optique va faire le point sur un détail auquel je n’avais pas prêté attention. Ça rejoint ce que j’appelle la beauté de proximité… Pas besoin d’aller à l’autre bout du monde, parfois, il suffit juste de se pencher sur ce qui est tout près, comme pour la pâquerette.

 

 

C’est sa simplicité qui la rend belle ! D’ailleurs, ça tombe bien, la pâquerette, c’est le logo du blog et c’est moi qui l’ai prise en photo ; -) 

Comme quoi, ce n’est pas forcément la plus jolie fleur qui donne la plus jolie photo. Il faut juste savoir regarder ! « Regarde », c’est d’ailleurs l’un des mots que je préfère…

C’est un avantage quand on est photographe ! Et le résultat est magnifique. Emouvant, même…

 

 

 

Il y a cette phrase que j’ai lue et qui dit que « La beauté n’est pas forcément dans l’objet mais dans l’œil qui le regarde ».

C’est vrai, question de point de vue, ça me rappelle Hume et mes cours de Philo ! Qu’est-ce que tu vas faire avec toutes ces photos de fleurs, les partager ?

Je suis en train de travailler sur un projet de livre et une expo, il me faut trouver des partenaires financiers, un éditeur, peut être lancer un financement participatif. J’aimerais exposer de manière temporaire dans les écoles pour sensibiliser les enfants et dans les hôpitaux pour créer un petit échappatoire. L’idée, ce n’est pas de faire de la photo d’art, ce serait prétentieux mais de pousser les gens à se pencher sur ce qui les entoure.

 

 

En même temps, dès l’instant où tu as une vision sur les choses et que ça raconte quelque chose, c’est de l’art.

De l’art informatif en quelque sorte… Histoire de faire entrer le jardin là où on en a besoin.

« Vivre simplement…

… Pour que simplement,

D’autres puissent vivre »

(Gandhi)

 

 

Bien sûr, placer nos têtes après toutes les belles photos de Christophe, forcément, ça dénote.

 

Mais tant pis ; -)

Et si vous souhaitez des conseils personnalisés pour mettre en place un « Jardin Vivant », vous pouvez joindre Christophe par mail chlartige@gmail.com (il a déjà fait de nombreux heureux) et sur Instagram Lanatureaucoeur ; -)

 

 

NDG * : Note de Galou. Parce que « NDLR, note de la rédaction » c’est un poil pompeux, surtout quand on est toute seule ; -)